Effondrement et parentalité: L’amer à boire?

par Tarik Bouriachi

Les parents qui comme moi sont nés dans les années 80/90, ont vécu la montée en puissance des connaissances mais surtout de la diffusion de nouvelles toujours plus catastrophistes à propos des conséquences néfastes de nos modes de vie sur notre environnement. Nous qui avions comme contexte le triomphe de l’utopie techno-libérale que certains ont appelé la fin de l’histoire, avons été les témoins plus ou moins complices d’une fuite en avant mortifère et de ses conséquences collatérales sur l’environnement, la biodiversité, ou l’accentuation des inégalités sociales.

De fait, il n’est pas surprenant du constater que 78% des parents pensent que leurs enfants vivront moins bien qu’eux du fait des conséquences du dérèglement climatique. Cette écoanxiété a des conséquences directes et concrètes sur nos enfants, dont 83% pensent que nous avons échoué à prendre soin de la planète. C’est un peu comme s’il y avait une forme de transmission de la peur qui devient une inquiétude anticipatoire[1] ou dit autrement un stress pré-traumatique. Quand 75% des jeunes interrogés anticipent un avenir effrayant[2] on peut parler de deuil écologique[3].

Face à cette nouvelle forme de détresse psychique deux attitudes antagoniste émergent : l’attitude collaspsosophe – qui renvoie à une vision consistant à assumer l’effondrement et vivre avec- et l’attitude collapsophobe, qui cultive le déni et la passivité. Ainsi, pour ces jeunes, sévères avec leurs gouvernements dont ils considèrent l’inaction comme une trahison, répondent parfois par un fatalisme dépressif qui s’illustre en partie dans l’abstention de 75% des 18-24 ans lors de la dernière élection législative en France[4] ; mais aussi par l’expression d’un besoin irrépressible de se battre pour faire entendre leur voix, notamment par le recours aux tribunaux et à la désobéissance civile et ce que cela entraine de répression et parfois de morts[5].

Ces attitudes sont aussi la manifestation d’un rapport différencié à l’utopie. En effet, une enquête[6] réalisée sur le rapport des Français aux utopies, montre que l’utopie écologique est largement plébiscitée par 51% des sondés (contre39% pour l’utopie identitaire-sécuritaire, et 10% pour l’utopie techno-libérale). Cette étude montre aussi une surreprésentation des jeunes (61% contre 51%) dans ceux qui se déclare adhérer à l’utopie écologique.

En tant que parents, nous avons la responsabilité d’accompagner nos enfants vers un optimisme constructif qui met en avant les aspects avantageux d’une situation sans s’appesantir sur les désagréments et de se focaliser sur les opportunités individuelles et collectives plutôt que sur les obstacles. Un des outils pour le faire est la pédagogie qui par essence se réfère « implicitement ou explicitement, à une société idéale que l’éducation aurait précisément pour mission de faire advenir »[7] mais aussi car elle donne un sens et une orientation aux tentatives de transformation du monde réel.

Cette approche à la pédagogie peut avoir des manifestations très concrètes telles que les balades dans la nature, la cuisine de produits de saison, le jardinage ou encore la valorisation du bricolage et de la réparation. Il s’agit aussi de mettre en perspective les informations parfois techniques et parcellaires qui proviennent d’internet, ou de créer des espaces de discussions et de collaboration entre pairs où l’interpersonnalité positive est associée à une plus grande attention aux autres et renforce les liens.

[1] Eco-anxiété : analyse d’une angoisse contemporaine, Eddy Fougier, Fondation Jean Jaurès, 2021 [2] Etude parue dans le journal scientifique The Lancet Planetory Health s’appuyant sur un sondage réalisé auprès de 10000 jeunes, âgés de 16 à 25 ans issus de 10 pays ( Australie, Brésil, France, Finlande, Inde, Nigéria, Philippines, Portugal, Royaume-Uni, Etats-Unis) [3] Ashlee Cunsolo et Neville Ellis, « Ecological grief as a mental health response to climate change-related loss », Nat. Clim. Change, vol. 8, 2018 [4] https://www.la-croix.com/France/Legislatives-2022-linquietant-decrochage-jeunes-2022-06-18-1201220683 [5] En 2018, au moins 164 défenseurs de l’environnement sont morts en se battant contre des projets miniers, forestiers ou agro-industriels, selon le bilan annuel de l’ONG Global Witness. [6] L’observatoire société et consommation (Obsoco) a interrogé 2000 français de 18 à 70 ans sur leur rapport aux utopies en fonction de plusieurs scénarios. [7] La pédagogie comme fondement d’une utopie éthique – François Galichet 2016 https://www.cairn.info/revue-imaginaire-et-inconscient-2006-1-page-101.htm

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